Maître Puntila et son valet Matti. Mise en scène de Georges Wilson.
D’après l’œuvre de Bertolt Brecht. TNP Théâtre de Chaillot. Charles Denner interprète Matti.
Après un ultime one man show théâtral dans le Marionnettiste de Lodz (1984) de Gilles Ségal et deux dernières apparitions dans Golden Eighties (1985) de Chantal Akerman, et l’Unique (1986) de Jérôme Diamant-Berger, Charles Denner, gravement malade, se retire.
Il obtint deux nominations aux Césars, l’une en 1977 (meilleur acteur dans un second rôle dans Si c’était à refaire, de Claude Lelouch), l’autre en 1978 (meilleur acteur dans L’homme qui aimait les femmes, de François Truffaut).
Cliché représentation du Marionnetiste de Lodz de Gilles Segal
Les personnages qu’il affectionne sont ceux que dévore une obsession obscure.
Bien qu’il excelle également dans le registre du pur comique (Robert et Robert, 1978, de Claude Lelouch), il préfère l’ambiguïté. Et c’est donc François Truffaut qui, neuf ans après La mariée était en noir, lui offre en 1977 un rôle à la mesure de son talent. Devenu Bertrand Morane, L’homme qui aimait les femmes, Charles Denner assure au film d’abord pressenti comme une comédie dramatique une dimension plus profonde. Écrivain rongé par la passion des femmes, Morane-Denner n’est pas un dragueur, mais un homme tout simplement, au silencieux mal-être, poétique et tendre. Dans son univers où les jambes des femmes sont « des compas qui arpentent le globe et lui donnent son équilibre et sa forme », il touche au point de l’égarement à la fois douloureux et souriant. C’est lui, selon Truffaut, « le comédien poétique par excellence », qui imprime au scénario le ton d’un film devenu depuis inoubliable.
Cliché « L’Homme qui aimait les femmes »
Dévoué à la cause de ses personnages jusqu’à oublier tout le reste (« Je suis habité par une monomanie »), Charles Denner est un artisan de l’émotion humaine.
Tantôt maître chanteur (Mado, 1976, de Claude Sautet), tantôt père déchirant (Le vieil Homme et l’enfant, 1966, de Claude Berri), tantôt dératiseur puceau jusqu’à sa rencontre de Bernadette Laffont (Une belle fille comme moi, 1972, de François Truffaut), il fait plus que jouer : il sert. Aidé en cela par le charme d’une voix singulière dans laquelle, sous une rudesse apparente, vibrent les nuances les plus subtiles du désir, de l’espoir ou de la déception.
Photogramme de la scène du départ extrait de « Le vieil homme et l’enfant » de Claude Berri.
En 1963, Alain Jessua alors parfaitement inconnu lui confie son second premier rôle dans La Vie à l’envers, où on le retrouve, traduisant à merveille le lent glissement d’un solitaire vers l’internement à vie.
«Demain je commence «La Vie à l’envers», un film que va réaliser Alain Jessua, un jeune metteur en scène qui a eu récemment le prix Jean Vigo. C’est l’histoire d’un type qui recherche à sa façon le bonheur impossible. Il est représentant d’une agence immobilière minable, «Le Gai Logis», et toute la journée il grimpe les étages pour faire visiter «les deux pièces, cuisine, possibilité douche» aux nombreuses personnes en quête d’appartement. Un personnage pris dans la vie de tous les jours. Il me plaît beaucoup à cause de cela.
Il pourrait être moi.»
Cliché « La vie à l’envers », Parisienne de Photographie
Sa carrière d’acteur le révèle au théâtre, quand Claude Chabrol tombe sous le charme de la composition qu’il donne du personnage de Gori (Hermann Göring) dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertold Brecht monté en 1960 par Jean Vilar et Georges Wilson au TNP.
C’est en 1962, après un casting, qu’il lui proposera le rôle de Landru. Affublé depuis ses débuts de rôles de vieillards avec faux nez et perruque, il accepte sans hésiter de se raser le milieu du crâne et de se laisser pousser les favoris pour incarner le personnage. Claude Chabrol parlait alors du mélange de bonhommie et de terreur qui avait contribué au succès de son interprétation en ajoutant qu’il s’était régalé à composer ce personnage de petit bourgeois qui trucide avec une vraie ferveur domestique.
Cliché gauche : de Agnès Varda au TNP 1960 – Charles Denner (Gori – Goering)
Cliché droite : de Parisienne de photographie – Charles Denner pendant le tournage de Landru au Luxembourg
Il débute certainement au cinéma en 1946 dans Der Ruf tsum Leben (Rappel à la vie), un court métrage de Maurice Wolf (Saint-Lou) et Élie Davidson dans lequel il apparaît sous le costume d’un soldat allemand.
Ce film en yiddish non sous-titré fut restauré ensuite par le Centre national du cinéma. Il fut la première fois projeté le 6 mars 1946, lors d’un grand gala à la Salle Pleyel donné au profit des enfants de déportés et fusillés (Fédération des Sociétés Juives de France). Entré au Parti Communiste Français à cette époque il le quittera, lucide et désillusionné, sitôt après l’invasion de la Hongrie par l’URSS, en 1956.
Cliché « Der Ruf sum Leben » (Rappel à la vie), court métrage de Maurice Wolf (Saint-Lou) et Élie Davidson.
Ses premières apparitions véritablement professionnelles débutent en 1954, au cinéma, dans Poisson d’avril de Gilles Grangier, où il apparaît en consommateur, au café.
Et la même année à la télévision (ORTF) dans L’Annonce faite à Marie réalisé par Maurice Cazeneuve dans lequel il interprète le personnage de Naugier. En 1955 il joue d’autres petits rôles dans plusieurs longs métrages, dont La Meilleure Part d’Yves Allégret, au côté de Gérard Philipe.
Cliché « Poisson d’avril » de Gilles Grangier.
« Depuis les débuts du TNP, j’étais de la distribution du Cid et du Prince de Hombourg, les deux premiers spectacles de Jean Vilar. Je viens de jouer Thomas More (1963). Ainsi j’ai fermé la boucle. »
« Bertold Brecht, je lui dois de grandes joies et le sentiment de servir à quelque chose. Dans Mère Courage j’interprétais quatre rôles en même temps : le sergent recruteur, l’espion borgne, le jeune soldat ivre et le lieutenant qui fusille la petite fille sur le toit. »
Cliché Maison Jean Vilar d’Avignon : couverture brochure Thomas More ou l’Homme seul de Robert Bolt, mis en scène par Jean Vilar au TNP de Chaillot et au Festival d’Avignon
Tout en poursuivant ses cours chez Charles Dullin il débute sa carrière de comédien au théâtre dans la jeune compagnie des Compagnons de l’Arche d’André Marcovici.
Attaché au renouveau du théâtre yiddish en langue française porté cette jeune troupe, il joue plusieurs rôles dans quatre pièces, dont Le Dibbouk de An Ski (1946) au théâtre Edouard VII, Le Keroub et le mariage de Rachel (1947) au Théâtre La Bruyère, et Tel Haï (1947) aux Théâtre Edouard VII et La Bruyère. Ces premières expériences des planches lui procureront les plus grandes satisfactions de sa carrière. Il interprète ensuite un clown dans Les Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire, mise en scène par Clément Harari. C’est là que Jean Vilar, qui dirige le Festival d’Avignon, le remarque.
«J’adorais Clark Gabel, Jean Gabin, Edward Goldenberg Robinson, Paul Muni, Charles Laughton, Charlie Chaplin… Je ne saurai tous les citer. Dès que mon père me filait quelques sous, je les investissais dans une place de cinéma. Mais ma vocation m’est venue plus tard, pendant la guerre, au maquis du Vercors. Je ne sais plus plus très bien pourquoi, mais j’ai décidé de devenir acteur si je sortais vivant de cette histoire.»
Cliché Georges Henri : en coulisses de Tel Haï, Charles Denner et André Marcovici